Nous vivons d’un faux soleil

Nous vivons d’un faux soleil. D’une lumière fabriquée, d’images qui nous ressemblent sans jamais nous atteindre. J’ai longtemps travaillé à partir de la mémoire, de ces couches du passé qui se superposaient jusqu’à devenir la peau même du présent. Mais aujourd’hui, la mémoire elle aussi s’est fragmentée. Le vrai et le faux, la fiction et le souvenir, le réel et son imitation se mêlent dans un même flux, indiscernable. Ce qui vient des machines n’est pas un mensonge : c’est une autre manière de dire la perte. Ces visages produits par calcul paraissent humains, mais ils n’ont ni source ni chair. Ils parlent avec des lèvres inventées, ils portent nos mots sans en connaître la brûlure.

C’est là que le dessin et la peinture reprennent sens. Non pas comme refuge, mais comme contrepoint. Ils ne cherchent pas à corriger la fiction, mais à l’éprouver. À l’intérieur de ce vacillement des images, le geste reste une preuve de vie. La main hésite, tremble, efface, recommence. Chaque trait devient une question adressée au monde : qu’est-ce qui demeure quand tout peut être simulé ? Peindre, c’est mesurer la distance entre le visible et ce qui échappe. Ce n’est plus représenter, mais éprouver la résistance du réel à l’intérieur même de son effacement.

Dans ce face-à-face avec les images synthétiques, il ne s’agit pas d’opposer la matière au calcul, mais de sentir où le faux rejoint le vrai. Le portrait devient un terrain d’incertitude. Il ne s’agit plus de reconnaître un visage, mais de reconnaître la possibilité du visage, sa fragilité. Parfois, la main touche une surface comme on touche l’aile d’un papillon — avec la conscience que le geste peut briser ce qu’il cherche à comprendre. C’est dans ce tremblement que le réel survit, non comme certitude mais comme présence.

La réalité que je cherche n’est pas plurielle, elle ne se divise pas entre l’humain et le synthétique. Elle circule entre les deux, dans la fracture. Elle se loge dans ce moment où la lumière artificielle rencontre la matière de la main, où le visage inventé devient la métaphore d’une altérité retrouvée. Nous vivons d’un faux soleil, mais dans son éclat persiste une vérité : celle de continuer à regarder, à douter, à peindre, à chercher ce qui, au cœur du simulacre, reste vivant.