Les Météores
Rien ici ne cherche à réparer. Ce n’est pas un cri, ni une confession. C’est un relevé de terrain. Une cartographie du trouble.
Chaque dessin est une zone fracturée, traversée par ce qui subsiste une fois le langage suspendu. Lorsque les rôles s’effondrent. Lorsque la scène se vide. Lorsque les fictions ne tiennent plus.
Dans Les Météores, Descartes érige une architecture rationnelle du ciel, tentant de dominer les phénomènes. Ici, c’est l’inverse : le chaos est dessiné sans être capturé. La chute est laissée brute. Les figures tombent, se redessinent, se fragmentent. La résistance s’inscrit dans ce geste même : tracer alors que tout vacille.
Les images ne délivrent ni rédemption, ni refuge. Elles enregistrent l’onde résiduelle de systèmes relationnels faussés — où l’affect est utilisé, le lien stylisé, le pouvoir masqué. Ces surfaces graphiques témoignent d’une mémoire non verbale, là où la domination s’exerce sans nom mais laisse des marques.
Les serpents, les torsions, les figures d’anges rebelles empruntées à Frans Floris n’illustrent pas : ils performent. Ce sont des intensités internes, des forces dissidentes. Ils déplacent la lecture du corps vers une dynamique, un mouvement de refus.
Les visages ne désignent personne. Ils sont des seuils perceptifs, des membranes. Leurs yeux ne regardent pas : ils laissent passer ce qui n’a pas encore de nom. Ce qui se joue ici échappe à la scène ordinaire du sentiment. Il ne s’agit pas d’un manque ou d’une perte, mais d’un vide structurel — un vide qui ne cherche ni vérité ni échange, seulement impact, captation, répétition. Ce vide active les décors truqués, les gestes calibrés, les récits clos. Il n’est pas dénoncé, mais exposé — rendu identifiable.
À l’instar de Théâtre du monde de Frédérique Aït-Touati, où l’illusion scénique est démontée dans ses dispositifs techniques, ces dessins révèlent les ressorts souterrains de la mise en scène. Ce qui visait à séduire devient lisible. Ce qui visait à piéger devient structure. Ce qui prétendait capter devient preuve.
Tout cela passe par la matière même : fragmentation des visages, lignes effacées ou suraccentuées, silences graphiques opposés aux densités de traits. Le calque, le collage, la rupture formelle sont les éléments d’une syntaxe visuelle du trouble. La peinture s’infiltre dans le graphite comme une contamination, une lumière blessée. Chaque composition porte la tension entre ce qui veut émerger et ce qui résiste à être vu. Ce sont des dessins à vif, fendus, recomposés.
Ils n’expliquent rien. Ils montrent. Ce que la langue ne contient pas : la persistance. Une survivance graphique qui échappe à la plainte.
Chaque image agit comme un météore, comme une traversée incandescente. Certaines atteignent même les zones les plus blindées. Celles construites pour ne rien laisser passer. Là où le charme dissimule la fuite. Là où l’impact visuel remplace le lien.
Face à cela, le déni peut persister. Mais un écart s’ouvre. Un silence plus dense. Une image qui ne s’efface pas. Car ce qui a été vu produit un effet irréversible. Et ce qui a été tracé, désormais, regarde.
Et s’il y a théâtre ici, c’est celui où l’on déchire les toiles de fond pour marcher dans l’espace nu. Non pas pour rejouer, mais pour habiter — vivant. Et debout.















