L’envers du possible

Entre 2012 et 2018, je travaillais sans en avoir pleinement conscience sur les couches profondes de ce que je n’osais pas encore nommer. J’interrogeais la dualité entre l’ancien et le contemporain, entre ce qui persiste et ce qui disparaît, ce qui s’élève et ce qui s’efface.

Le dessin sur calque, médium central de cette période, me permettait de superposer les temps, les figures et les contradictions. La statuaire antique, les peintures issues de l’histoire de l’art ou encore les photographies familiales inscrites dans l’Histoire coloniale servaient d’ancrage : visages de marbre, postures figées, corps idéalisés, symboles d’un ordre et d’un idéal intemporels. Je les confrontais à des images instables issues de notre époque saturée d’images, de vitesse et de spectacle — des visages flous, des corps fragmentés ou effacés, des poses empruntées.

Derrière cette tension visuelle se cachait une tension plus intime, encore enfouie. Ce que je porte aujourd’hui à vif vivait déjà dans mes dessins, mais en contrebande. Je composais, j’équilibrais, je donnais à voir une surface lisse, alors que tout se fissurait de l’intérieur.

Le dessin devenait ainsi le lieu de cette friction : entre transparence et opacité, permanence et volatilité, surface et faille. Un espace où les figures anciennes se confrontaient aux instabilités contemporaines, soulignant à la fois la résistance des formes et leur fragilité face aux bouleversements sociaux et écologiques.

Ce travail fut une scène d’avant la scène. Je ne parlais pas encore de moi. Mais je dessinais déjà ce que j’étais en train de devenir.